Le retour à l’enfance en ACP

Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi on revient si souvent à l’enfance en psychothérapie ? Il y a des psychothérapeutes qui poussent leurs patients dans ce sens. Mais même dans les thérapies humanistes, l’Approche Centrée sur la Personne de Carl Rogers, ou la Gestalt Thérapie de Perls, qui sont des thérapies qui partent de l’ici et maintenant, l’enfance prend souvent une place importante. Pourquoi ?

Évidemment, il y a une part d’explication culturelle. La psychanalyse a beaucoup marqué les esprits, notamment français, et l’idée qu’une psychothérapie passe par « comprendre comment on s’est construit » est bien ancré dans l’inconscient collectif. Mais ce n’est pas la seule raison. Le fait est que, sans faire d’analyse, revisiter le vécu de l’enfance aide souvent les gens à aller mieux. Voici une explication pour cela. Elle n’a pas pour vocation de réduire une (et encore moins toute) psychothérapie à ce seul mécanisme. La psychée humaine est bien trop complexe et riche pour cela. Mais ce mécanisme est suffisamment fréquent et puissant pour mériter d’être décrit.

L’exemple de Julie

Quand Julie était petite, et que ses parents lui demandaient quelque chose, ils n’admettaient pas qu’elle refuse de s’exécuter. Julie avait un grand frère qui n’hésitait pas à affronter ses parents. Ils lui criaient souvent dessus. Ces cris faisaient peur à Julie. Aussi adopta-t-elle une attitude plus soumise. Aujourd’hui, Julie est adulte. Elle souffre, parce qu’elle a l’impression que son chef abuse de sa gentillesse. Comme elle ne refuse jamais, c’est sur elle que retombent toutes les tâches les plus pénibles. Pourtant elle ne voit pas comment elle pourrait refuser de faire ce qu’on lui demande. Elle est payée pour cela après tout. D’ailleurs, elle n’estime pas beaucoup les collègues qui se permettent de refuser ces tâches : elle ne trouve pas cela très professionnel.

Explication neuro-physiologique

Que se passe-t-il ? Très schématiquement, 3 zones du cerveau rentrent en jeu en cas de grand stress : l’amygdale qui régule les sécrétions d’hormones, l’hippocampe qui organise la mémoire, et le cortex-préfrontal qui est le siège de la raison, de la réflexion, et de la relativisation. La façon dont ces 3 zones s’articulent répond encore aux besoins archaïques de l’homme préhistorique. En cas de danger, il devait essentiellement choisir entre la fuite et l’attaque, au sens propre de ces termes.

Quand les parents de Julie criaient sur son frère, l’amygdale de Julie libérait toutes les hormones qui permettaient à son corps de se mobiliser pour l’action. En même temps, elle inhibait son cortex préfrontal : réfléchir prend trop d’énergie, et fait perdre du temps dans l’action. Quant à son hippocampe, il enregistrait tout le contexte de ces cris pour apprendre à reconnaître plus vite le danger la prochaine fois.

Une fois les cris passés, l’hippocampe demandait à l’amygdale de cesser sa production d’hormones et de réveiller le cortex préfrontal. Celui-ci analysait alors la situation que Julie venait de vivre, et tentait de relativiser. Sauf que le cortex préfrontal atteint sa maturité relativement tard, vers la fin de l’adolescence, voire au début de l’âge adulte. Ce qui explique que les enfants soient très impulsifs, et qu’ils aient du mal à relativiser. Alors Julie a gardé en elle l’information suivante : « injonction d’une figure d’autorité nécessite soumission, sinon danger vital ! ».

Aujourd’hui, quand son chef demande à Julie de faire quelque chose que ni elle, ni personne n’a envie de faire, son hippocampe reconnaît un contexte précurseur d’un danger (« injonction d’une figure d’autorité »). Il réveille tout de suite son amygdale. Cette dernière réagit immédiatement, inhibe le cortex préfrontal, et lance les hormones du stress. Julie sent son cœur s’accélérer, et elle reproduit le schéma enregistré par l’hippocampe comme celui permettant d’éviter la crise : la soumission. Privée de sa fonction de réflexion, il lui est à ce moment-là totalement impossible de faire autrement.

Quand l’amygdale cesse sa prise de pouvoir, le cortex n’a pas tous les éléments pour faire son travail de relativisation. En effet, la cause profonde de sa réaction n’existe plus aujourd’hui. Tout ce qui reste, c’est l’injonction de ne pas dire non. Alors le cortex donne l’explication la plus logique qu’il trouve au comportement de Julie : « ça ne se fait pas de refuser, ce n’est pas son rôle de professionnelle ».

Comment la psychothérapie Centrée sur la Personne peut permettre de modifier le schéma de fonctionnement de Julie ?

La base de l’Approche Centrée sur la Personne est de créer une relation de confiance entre le thérapeute et son client. Cette confiance va permettre à Julie de se sentir suffisamment en sécurité pour qu’elle puisse regarder ce qui la touche sans que son hippocampe ne reconnaisse une situation de danger. Ainsi, quand Julie va parler de ce qui se passe au travail, elle va pouvoir garder son cortex-préfrontal en éveil. Cela va lui permettre de faire le lien entre cette situation et la situation de son enfance.

Souvent, à ce moment-là, le thérapeute, la personne qui se livre et même les éventuels observateurs (dans le cas d’un groupe thérapeutique par exemple) sentent que la personne qui parle rentre en elle-même et en ses souvenirs. C’est un léger état de conscience modifiée. Le thérapeute accompagne cela en essayant d’être au plus proche de ce que la personne vit ou revit. Il reformule ce qu’il perçoit du vécu de la personne, et vérifie avec elle que cela sonne juste pour elle.

Julie va donc replonger dans ses souvenirs de disputes entre ses parents et son frère. Elle va de nouveau ressentir la peur, l’impression de danger vital : « les personnes qui veillent sur elle, dont elle est totalement dépendante, sont capables de se transformer en monstres hurlants qui pourraient lui faire du mal. Ses parents protecteurs disparaissent, et l’abandonnent aux mains de ces monstres ». Voilà comment elle ressentait les choses, petite. Julie va retrouver les sensations et les émotions qu’elle avait alors. Et en même temps, elle sera l’adulte d’aujourd’hui, en sécurité dans le cabinet de son thérapeute. Et l’adulte sera capable de voir que la colère de ses parents n’était que ponctuelle, et qu’ils revenaient toujours à leur état normal après ; qu’elle n’était pas vraiment en danger, car la violence qui émanait d’eux était contenue. Ils ne sont jamais, et ne seraient jamais passés à l’acte. Et d’ailleurs, cette violence n’était pas dirigée contre elle, mais contre son frère.

Ainsi Julie va ressentir en même temps l’immensité de sa peur d’enfant, et la certitude de sa sécurité d’adulte. Le thérapeute, en montrant à la fois qu’il entend, accueille et comprend sa terreur d’enfant, et qu’il a confiance dans l’adulte, va faciliter cette double perception. C’est la conjonction de ces deux ressentis qui va permettre à l’hippocampe de compléter l’information : « Face à l’injonction de figures d’autorité, si je suis faible et dépendante, mieux vaut se soumettre pour éviter le danger ».

Et ainsi, quand Julie va de nouveau se retrouver dans une situation où une personne qu’elle place au-dessus d’elle lui demande quelque chose, avant de couper son cortex préfrontal, son hippocampe va demander si Julie se juge faible et dépendante. Si ce n’est pas le cas, la réaction de stress intense ne va pas se déclencher, et Julie aura le choix entre se soumettre à la demande ou avoir une nouvelle réaction. Cela ne veut pas dire qu’elle va tout de suite oser s’opposer à son chef. Il lui faudra peut-être expérimenter d’abord les nouvelles réactions possibles dans des contextes à moins fort enjeu. Et peut-être même qu’elle va continuer à faire tout ce que son chef lui demande, parce qu’elle va continuer à se dire que cela correspond à son propre niveau d’exigence. Mais elle ne le subira plus. Cela sera un vrai choix, et cela changera tout à sa façon de le vivre !

Conclusion

Quand on fait les choses par choix, pour être plus en accord avec ses valeurs intrinsèques (et non les valeurs inculquées par les parents ou l’entourage), on ne ressent plus cette tension épuisante qu’on appelle l’incongruence ; celle qui accompagne tout décalage entre qui on est et ce qu’on fait, dit, ou laisse paraître. En retrouvant la possibilité de faire un choix de sa place d’adulte, Julie va améliorer sa qualité de vie, son sentiment de bien-être au quotidien. Elle continuera à être plus sensible que d’autres aux gens qui haussent le ton, ou abusent de leur figure d’autorité, mais elle n’aura plus cette sensation de s’effondrer et de perdre ses moyens dans de telles situations. Elle pourra être en paix avec sa réaction, qu’elle aura pu réajuster à ses valeurs. Il est probable aussi que cette nouvelle sensation de liberté et de pouvoir sur elle-même augmente sa confiance en elle d’une façon plus globale, ce qui pourra avoir d’autre conséquences positives dans sa vie. Enfin, Julie aura commencé à apprendre à sentir quand elle n’est pas en phase avec elle-même dans sa vie. Et cet apprentissage lui permettra de continuer son chemin vers toujours plus de congruence, c’est à dire de paix intérieure, de bien-être et de vitalité.

Nathalie MATHERET
Psychopraticienne en Approche Centrée sur la Personne
Association CEDRE
Grenoble et Saint Martin d’Uriage
06.26.53.96.30

Sources:

  • “Libérez-vous de vos blocages” de Pierre-Noël Delatte avec la collaboration de Jean-Pierre Frangi
  • Mes observations professionnelles